Dans le miroir de Danaé
œuvres de Belugou
La Maison de l’armateur entretient depuis plusieurs années la confrontation entre l’Histoire et la modernité.
C’est le cas avec cette nouvelle exposition dont les œuvres mettent en vie Les Métamorphoses d’Ovide et plus particulièrement le mythe de Danaé. Ce mythe célèbre de l’Antiquité a connu une renaissance au XVIIIe siècle, à l’époque où la Maison de l’armateur voyait le jour, tout comme la technique utilisée par Belugou, connue dès l’Antiquité mais dont le nom de « verre églomisé » n’est établi qu’au XVIIIe siècle.
A partir du 15 juin 2019 et durant tout l’été, l’exposition Dans le miroir de Danaé - œuvres de Belugou, présente 17 productions délicatement installées dans la Maison de l’armateur. Cette exposition participe à la riche programmation proposée à l’occasion d’Un Eté Au Havre 2019.
Après une exposition en 2017, autour de l’art précieux contemporain, les Musées d’Art et d’Histoire de la ville du Havre souhaitent poursuivre la confrontation entre le luxe ancien et contemporain, soutenant ainsi une production spécifique et rare. L’architecture d’exception de la Maison de l’armateur, se montre intemporelle dans sa manière d’accueillir le faste.
C’est à Belugou que nous devons cette immersion dans Les Métamorphoses d’Ovide, s’attachant au mythe de Danaé, tant représenté dans les oeuvres du XVIIIe siècle. En reprenant un procédé lui-même très à l’honneur au XVIIIe siècle : le verre églomisé, il pénètre la Maison de l’armateur dans l’expression de ses luxes.
17 oeuvres sont installées dans les pièces de la demeure. Le visiteur est ainsi emmené vers un art ancien aujourd’hui réintroduit par la main d’un artiste vivant.
Virtuose du dessin, habité par l’esprit des décors, nourri d’une culture classique jusqu’à l’érudition, Belugou investit avec une aisance éblouissante les lieux historiques les plus inédits ou extraordinaires comme l’Opéra Royal du château de Versailles, l’Opéra de Paris, de Monte Carlo, de New York, de Hong Kong, de Philadelphie où il est couronné du Barrymore Award du meilleur costumier ; la haute couture ou la joaillerie pour Dior, Cartier ou Harry Winston à Paris puis à New York… ; travaillant pour le cinéma pour des personnalités comme Mick Jagger, Audrey Tautou, Laetita Casta…
Les arts décoratifs précieux sont de nouvelles voies qu’il explore, sa dernière exposition dans l’Abbaye des Prémontrés à Pont-à-Mousson fut majeure.
Elisabeth LEPRÊTRE
Conservateur en chef des Musées d’Art et d’Histoire
Belugou
Sa famille maternelle est originaire du Havre : les Hauchecorne comptent dans leurs rangs des artistes et des diplomates. Son arrière-grand-oncle Jules Siegfried a été maire du Havre. Naissance à Paris puis études à Montpellier, fief paternel, Belugou étudie la harpe et le dessin. Sa formation initiale s’effectue auprès du décorateur Pier Luigi Pizzi au festival d’Aix-en-Provence puis à l’Opéra de Paris. Après avoir parfait sa formation par une maîtrise d’histoire du théâtre à la Sorbonne et un diplôme de l’Ecole de la Chambre syndicale de la Couture Parisienne, détour dans la joaillerie (Cartier à Paris, Harry Winston à Paris puis New York, où il est formé pour succéder à Ambaj Shindé, le créateur historique du style Winston) et l’illustration de mode ( Vogue France, GQ et l’Officiel de la Mode ). Puis c’est à 25 ans qu’il conçoit ses premiers décors et costumes : Histoire du Soldat de Stravinsky. Depuis, sa vie est partagée entre théâtre, opéra, cirque, music-hall, évènementiel, films, peinture et design.
Au théâtre, après Antony and Cleopatra avec Helen Mirren et Alan Rickman au Royal National Theatre, c’est une fructueuse collaboration avec l’acteur et metteur en scène Michel Fau, pour les costumes de vingt-deux productions, dont Maison de poupée avec Audrey Tautou, Nono et Le misanthrope avec Julie Depardieu, Britannicus avec Geneviève Page, Que faire de Mister Sloane avec Gaspard Ulliel et Charlotte de Turkeim, Demain il fera jour avec Léa Drucker, Fleur de cactus avec Catherine Frot, Peau de vache avec Chantal Ladesou, Douce-Amère avec Mélanie Doutey… ce qui lui vaudra deux nominations aux Molières pour les meilleurs costumes.
Pour le théâtre musical, ce sont les costumes de Kiss me, Kate ! au Théâtre Mogador, My Fair Lady, Certains l’aiment chaud et Trois chambres à Manhattan à l’Opéra Royal de Wallonie, L’Homme de la Mancha au Théâtre du Capitole, Nine et Sept filles pour sept garçons aux Folies Bergère, Nevrotik Hotel au théâtre des Bouffes du Nord, Dance ! au Teatro Sistina de Rome, ou encore Lady in the dark au Prince Music Theater de Philadelphie, spectacle couronné par le Barrymore Award des meilleurs costumes.
Le répertoire lyrique lui est tout aussi familier avec Mazeppa, Eugène Onéguine, La Navarraise, Jules César et Les Contes d’Hoffmann, tous à l’Opéra de Monte-Carlo, mais aussi L’Italienne à Alger à l’Opéra de Los Angeles, Don Pasquale à l’Opéra-Comique, Le Roi d’Ys à l’Opéra de Marseille, Falstaff et La Vie parisienne à l’Opéra Royal de Wallonie, Les Noces de Figaro au festival de Saint-Céré, Le Voyage dans la lune et L’Enlèvement au sérail à l’Opéra de Fribourg, Carmen et Don Giovanni pour « Opéra en plein air », enfin avec Michel Fau : Madame Butterfly, Tosca, Eugène Onéguine, Cosi fan Tutte, Rigoletto, Ciboulette à l’Opéra-comique, Dardanus à l’Opéra Royal du château de Versailles…
Artiste multiple, Belugou conçoit le décor et les huit cent costumes pour la tournée mondiale du Lido, les costumes de Mick Jagger pour le film Bent de Sean Mathias, signe les douze vitrines-théâtres animées Les contes de fées des Galeries Lafayette, le décor d’un défilé haute-couture de Dior dans la Cour Carrée du Louvre, les 900 costumes de la saga historique Rani tournée en Inde pour France Télévision et une garde-robe de 51 tenues pour Laetitia Casta dans le film Arletty, une passion coupable.
Parmi ses projets : les opéras Nabucco au Théâtre Michaelovsky de Saint-Petersbourg, Otello à l’Opéra de Monte-Carlo, Ariane à Naxos au Théâtre du Capitole de Toulouse et La belle Hélène à l’Opéra de Lausanne.
Virtuose du dessin, habité par l’esprit des décors, nourri d’une culture classique jusqu’à l’érudition, il pénètre avec une aisance éblouissante les lieux historiques les plus inédits ou extraordinaires, et parmi ceux qui l’ont particulièrement touchés, la chapelle de la Tapisserie de Bayeux ou la très remarquable Abbaye des Prémontrés à Pont-à-Mousson pour laquelle une commande lui a été passée pour l’inauguration du choeur baroque restauré. Ses créations en verre églomisé y prirent place, auprès des décors baroques les plus aboutis dans un mariage complexe et harmonieux, au printemps 2019.
Un panel de ses productions en verre églomisé est visible en permanence à la Galerie Alexis Lahellec, rue Jean-Jacques Rousseau à Paris. Cabinets précieux, tables, tableaux et panneaux décoratifs sont tous conçus et exécutés dans cette technique qui joue avec le merveilleux née au XVIe siècle, employant des feuilles d’or 22 carats, d’argent et de platine gravées au stylet avec la plus extrême finesse.
Le mythe de Danaé
Le roi d’Argos informé par un oracle qu’il serait tué par son petit-fils, enferme sa fille Danaé, future mère de Persée, dans une tour d’airain. C’est au travers d’une pluie d’or que Jupiter parvient jusqu’à Danaé. Les pièces d’or ruissellent sur son corps prisonnier pour la féconder, et de cet or fertile naîtra le héros vainqueur de la terrifiante Méduse. Ovide nous raconte ainsi la plus stupéfiante de ses Métamorphoses : Jupiter traverse le règne humain, il délaisse même le règne animal où il se plaît tant, il s’est changé en or. Ni Amphytrion, ni Taureau, ni cygne : il devient métal. Métal ouvragé. Produit d’une main humaine !
Son fils Persée, enfanté par un objet d’art, sera vainqueur de la Gorgone au regard pétrifiant, et sauvera sa mère du viol en statufiant son agresseur. Cet agresseur qui les avait pourtant sauvés, mère et fils, d’une noyade certaine. L’enfant vengeur fixera à jamais cette violence masculine, changeante et ambiguë, sous la forme inaltérable d’une statue de pierre. L’art, encore.
Le verre églomisé
Travaillant l’or depuis des années sous sa forme la plus volatile – cette feuille d’or posée sur le verre puis gravée avec un stylet fin comme une épingle – j’ai toujours été fasciné par cette incroyable fécondation de l’humain par le minéral. Un minéral, qui plus est, travaillé par la main de l’homme sous forme de pièces de monnaie. J’y vois la métaphore parfaite de l’inspiration, éternelle et obsédante navette entre le Divin et l’humain, l’informe et le fini, le théorique et le pratique, l’incréé et l’artisanal. Comme une mer s’évapore, devient nuage, puis se condensant devient pluie qui retourne à elle-même, l’inspiration de l’artiste s’ancre dans les mythes pour accoucher d’oeuvres d’art qui féconderont d’autres imaginations, qui à leur tour paieront leur tribut aux aînés et aux mythes fondateurs…
« Tribut » (dette) et « talent » (pièce de monnaie) : nous parlons donc toujours de cette pluie de pièces d’or lorsque nous définissons ce qui rend chaque artiste à la fois débiteur et créancier de tous les autres depuis la caverne de Platon. L’or que je travaille rend hommage à cette éternelle Bourse solidaire ».
Belugou
« La peinture sur verre est connue depuis l’Antiquité, utilisée au Moyen Age pour les crucifix et les reliquaires, adoptée à Venise à la Renaissance et au XVIIIe siècle notamment pour les miroirs. Cette peinture inversée prit le nom de verre églomisé du nom de Jean Baptiste Glomy (v. 1711-1786), encadreur des rois Louis XV et Louis XVI. A la Belle époque cette technique devient un art populaire pour de grands panneaux décoratifs ornant des magasins et des brasseries. Etienne Cournault (1891-1948), peintre graveur proche des mouvements cubistes et surréalistes s’intéressa de nouveau à cette technique pour des créations raffinées notamment en collaboration avec l’orfèvre Jean Després. »
Marie-Noël de Gary
Conservateur honoraire au Musée des Arts décoratifs, Paris